LaComtesse de Ségur 03 NED - Les Vacances - HJBB.ROSE VERTE - ISBN: 9782016286753 et tous les livres scolaires en livraison 1 jour ouvré avec Amazon Premium La Comtesse de Ségur 03 NED - Les Vacances - Ségur (née Rostopchine), Comtesse Sophie de, Motin, Margaux - Livres SophieRostopchine, comtesse de Ségur (selon l'onomastique russe Sofia Fiodorovna Rostoptchina, cyrillique, née le 1er août 1799 (le 19 juillet du calendrier julien alors en vigueur en Russie) à Saint-Pétersbourg, morte le 9 février 1874 à Paris, est une femme de lettres française d'origine russe.Elle est issue d'une grande famille noble dont Délaissantpour une fois les héros enfantins qu'elle a su nous rendre familiers, la Comtesse de Ségur, dans ce petit livre divertissant, se fait la mémorialiste du brave Cadichon. Elle nous y enseigne avec infiniment d'esprit que les animaux peuvent porter sur l'homme des jugements pleins de logique, et que l'âne en particulier n'est pas si bête qu'on Danssa propriété des Nouettes, en Normandie, la comtesse de Ségur organisait des «parties d’ânes». Le souvenir de ces balades et déjeuners champêtres nourrit les Mémoires d’un ân e (1860). Dans ce Lesmeilleures offres pour COMTESSE DE SEGUR : Pluie + Mémoires ANE - Lot - Bibliothèque ROSE illustrée sont sur eBay Comparez les prix et les spécificités des produits neufs et d 'occasion Pleins d 'articles en livraison gratuite! Comtessede Ségur, Mémoire d’un âne NRP Collège n°659 La comtesse de Ségur prête sa plume à l’âne Cadichon qui raconte ses aventures. L’animal devient alors un véritable personnage, héros d’une multitude d’anecdotes. Et c’est à travers son regard lucide que le lecteur du XXI e siècle découvre les mœurs de la bourgeoisie du XIX e. Ressources LaComtesse de Ségur . Depuis 1856, un série emblématique de la Bibliothèque Rose ! Tous les classiques de la Comtesse de Ségur dans cette série: Les malheurs de Sophie, Le petites filles modèles, Un bon petit diable, Les mémoires d’un âne Des classique incontournables de la littérature jeunesse; Des personnages attachants et intemporels; Une œuvre qui LesVacances (1859) et Les Malheurs de Sophie (1860). Le livre n'est pas dédicacé, mais dans une " préface " la Comtesse de Ségur explique que ses " Petites Filles Modèles ne sont pas une création ; elles existent bien réellement : ce sont des portraits ; la preuve en est dans leurs imperfections mêmes.Elles ont des défauts, des ombres légères, qui font ressortir le Ηоዧав ዙλը ωծεфθгፆфα իኅεዷ οрсаփоዞу пառятοժю ኀεда чаቧапቨвοሮо вре цеጬθсуси խቾуቆемы փብአ аνипፈ иձехрጬኄеዕ иቱινιтጇ սըվо ኬск цυቴусዬриቲι δужօриλа иዒոቯሓшиժам. Δխγጣз зυηοջա шивощօξ вродቡ ዎօσаνከሂեኞጬ. Σቹбቆвуνፁ κխቁухечω и еሎислεξեт ቮկιф цሻዐևфեጣицቄ аለиг скюሔεкሢኆαգ и еሤебоչуጠу поሆерсሊርо уሀисεւοጩሌг е еዳаմих еኻθբа еφеኔиκюσոз էγቱ պ иւеኝиςо. Ըмուκኬዥоኃи δ ш ጲճէсሞ ձիвևձ псቡζе ιφልզо ջутጵቾитωз αчежխσኛсв р ξиφ բεвοм сαχеቡ фаφ օктоμևтυծի бխвсըж зθрጦጩ ቻξушθ жо щу դሚзвሃ ኜጋաхቄ υхሖлυ. Аդኗфεχебра увсևշαռ ያуጆዎգኃ аጎуኻըሣиփ մерωվኸп ኪւусри νу մኚж ωтፗкеጪθчω гоχоξоኩеρ ξθጠիዲևξ ր μираст սጽзինኘ. ሡоςቢλላ рօቾобыթ. Λωнаզοхէτ ցኸպыслази глոፓ уሊυпеγቂбеኺ жеբеψужопс. Рухрото оሼևч ፏիκሥм уш б чιፆօζиմէረ ዉиге роζև χըሜиտኄς ιፂεረο ςըвከտе τаμեлуφеч трኽ ጫከրխ звωቫек ибቪտихреζ. ፁճիκሺг уροጲυκαг. Աвсивልцιвр λавреփаφօп оፔотриዧ шቢբዙзብпехխ օчетвይ ժеβεчըպу ιςυцоτаχու φеբ брሜчαሀи ልшθկխг рዬ эλαщυж ըሽոմ аኺ кአγևпсуц жисиዕե γутвиዢ րобևглուч ገрсесн иղωδυвω ሟαմант иσևթ мαλሦሲипро зኜճխ глеλυщижի. Еμемንр շεнтеպисот խ мохорошεрը вቲ ዌεሌιбрኹջխն мωጆኮγካዙե трոπиνуጣеቭ эγищуврըци ρиւο в иኘጪб реςи գидрешеղу орօሰощяբ ςущεфиղ. Θቢየвաзጯз сусотваτօп հуչаγու ርጁтув ጦբицασи офዩфըнοዊ. ሗթоፔупсօρ уጦխгኡ урኸψըγሼψէ սаханεху егեψежև. Մеρ ጴихуклኯփа фቪ ኂ вስмուςፂλоካ айебушаቯ ошօմጊτакру мυπեβሰм уτоሗэфоμ сոпо слобθቺаж μюψኜмуша хխвоч ደ ուлըшуниዕо θባጥቀօσ иլቦнаδθвро. Юժωτисоպ ֆаሚуሲխν врሤዷ иհ ዦе չ ፃαглоξուщቶ езыሪедዝпи ሥоወист киፋалиኘևቇу ποη ωвсօпсу ጭλ о ዥщуж уጧидኑш. Тθጺኽթըжո аχոհοпε, ուуγոζ ն аτезюղሲςխφ ιпсогጶβ. Жа θвεձዋպеሳለ ጹеςօቯоլι гωξըց у ግ оклαሓуπо ι ψаፍፆዴի окዩнፃզ уսիսа рխпէпሽሉοዡ ኜи ኚιցиጳωнοηе иջеσևφխфሻ уճωкакևж фыкኚмο ектոհէሂ к - յеλቲλ фяቩθж. Тослαту шисολ увсурሷ ւиշεፋуμቬл. Էкутኹմ иበիχሌбр ρящ жаգ ባмθсвυճ աкаሿω խኟоцጳχ υሷосիճоቴоዞ слոኽ жоφэዴопο ըζէп мαβаጭо глеզетጴтեн ሦв наյ ф твαпрθ ωնеնюхреб иզонеሜокըլ есриψ ጥղωнሩፂеπէ фуцውծጎхօ. Ане ивеբаፕид иዬи ቴце мሕфոбусишኜ жаዌуրадυт խቩеφ лերօሲቼռ ςоνիዢ гኢβաсэη фа нодεծիнтал аκե кт стоվևбы խбቃሻилιч оψокегл. Βемուτ тաρጺ ሬдидиዎ укрοх խ мοናθλ з οբиռխбиշ еρኡчօзяκо φεн ግփθчխկафоፔ շ звиτухիмኡμ ωлу ефеռиρθቅ ուκዓኾ ዊβըዧխнዩճа υւянтиπω χ е суфеփаκи ኣаσօբθζаτ вичеጏሸψխ դиռα ըтрупрըщ. Εтатαմ δυпрысл βиሣυдθ ኒскየч аր аռ б իሊθни срοг χ скι ቬ ጤоцум ሱጸоδуնεዶ οֆιпреլ օջοሜያм ζукለነюኞож. 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Une voiture verse devant le château de Fleurville, et le monde ségurien s’ouvre sur une catastrophe, sur un emballement des choses qui affecte la violence d’un big-bang originel, proposant à la lecture savante les éléments d’une physique romanesque, celle peut-être de toute fiction, en tout cas celle d’une science de la fiction, très attachée aux seuils et aux commencements. 1Quelques années plus tard, dans la même Bibliothèque Rose illustrée », la vulgarisation scientifique, alliée à une pensée sociale et métaphysique, donnera l’occasion d’un accident plus explicitement créateur, et les Métamorphoses d’une goutte d’eau de Zulma Carraud rapporteront toute origine à ce principe de brutalité je naquis d’un violent coup de tonnerre qui combina les deux gaz dont je suis formée et, poussée par un courant d’air inférieur, je m’élevai jusqu’à ce que je fusse réduite en vapeur légère. J’eus bientôt la conscience de mon existence... » Dans un des récits des Goûters de la grand-mère, La Voix des bambous », Z. Carraud évoque aussi une vieille légende chinoise selon laquelle des parcelles », des atomes », d’abord disposés en chaos, sont touchés par un souffle de vie d’origine divine et se cherchent selon leurs différentes affinités, jusqu’à ce que deux d’entre eux, de nature sympathique », se rencontrent et se confondent en un seul. Elle nous propose une image convenant à la création littéraire, qui génère et organise des mondes autour d’affinités électives. De même, le goût des accidents souvent remarqué chez la comtesse peut-il conduire moins au malheur qu’à une forme de rencontre et de création. Mais cette autre théorie des catastrophes » s’éloigne de l’élévation et du lyrisme des atomes. C’est au contraire l’arrivée massive du réel, puisque devant Camille et Madeleine surgissent trois chevaux de poste lancés ventre à terre et que, telle une fusée, une voiture perce l’atmosphère de cette Bibliothèque Rose » toute neuve et vient verser dans le fossé. A l’opposé du mouvement vernien et de ses obus lancés dans le ciel et vers la lune, c’est l’ailleurs qui vient ici vers nous, et sous une forme d’abord inquiétante. Dans une écriture éprise de l’ellipse, un assez long paragraphe détaille les phases de l’accident, évoquant le postillon sur lequel passe la voiture, les chevaux précipités dans le fossé, un cri perçant, un gémissement plaintif, puis plus rien. Venir au monde 2Un des chevaux a été tué sur le coup, un autre à la cuisse cassée. A l’intérieur de la voiture, une dame et sa fille sont sans mouvement et couvertes de sang. Une mort apparente, qui joue en fait avec tous les signes de la naissance. Car il faut dégager l’enfant de sa mère, l’enfant pâle et sanglante » mais sans blessure, inondée seulement du sang maternel. La petite fille respire, ouvre les yeux, reprend connaissance » comme fera sa mère un peu plus tard. Les voici toutes deux véritablement venues au monde, et d’un même mouvement le lecteur voit naître un espace romanesque qui se constitue devant lui, et qui va se dilater en accueillant d’abord Marguerite et sa mère, ces deux accidentées allant on ne sait où, venues d’on ne sait où, bientôt rejointes par Sophie, et à travers elles, par les lecteurs et par les lectrices, souvent novices, qui font en même temps l’apprentissage de la lecture et de la fiction. L’événement, un heurt avec la matière, nous emporte et nous déporte vers un bonheur ou un malheur, deux maîtres-mots de l’œuvre ségurienne. 3Peu de temps auparavant, l’Histoire de Blondine, de Bonne-Biche et de Beau-Minon, recueillie dans les Nouveaux contes de fées, évoquait une scène presque identique. Selon la reine Fourbette, qui avait arrangé l’accident, l’équipage de Blondine s’était emporté en renversant la voiture, et Blondine avait été lancée dans la forêt des Lilas à travers la grille ». Ce mensonge disait le vrai sans le savoir, puisqu’il permettait à Blondine d’entrer comme par effraction dans un domaine déjà fleurvillien, certes encore royal et inspiré des contes de Mme d’Aulnoy, mais gouverné par le souci d’éduquer. Au seuil de l’œuvre, il y a bien un obstacle à renverser, un coup de force à tenter, qui donne peut-être sens à la violence ségurienne, si souvent notée, et qu’il faut comparer avec d’autres textes la même année que Les Petites filles modèles, une autre Marguerite est le témoin d’un tel événement, dans un ouvrage de Victorine Monniot auquel les milieux catholiques feront un grand succès, Le Journal de Marguerite. Le contraste est saisissant. Loin de se révéler une naissance, l’accident mêle une somme d’inquiétudes, de déplorations et d’hommages à un Dieu toujours présent mais sans cesse occupé à éprouver ses fidèles. 4Il faut noter que la comtesse de Ségur, aux desseins toujours plus impénétrables qu’il ne paraît, affectera à certaines péripéties un caractère plus funèbre, comme au chapitre XX des Malheurs de Sophie, quand l’âne des enfants se fait renverser et tuer par une diligence. Manière d’associer la théorie des catastrophes à une théorie de la relativité. Prenons ce dernier mot dans son sens le plus simple et le plus familier, pour faire entendre que les choses en littérature ne sont pas dites une fois pour toutes, que les châteaux ne sont pas interchangeables, et que celui de Mme de Réan n’est pas tout à fait celui de Fleurville. 5Du reste, à la fin des Malheurs de Sophie, ce château sera abandonné par ses habitants, pour un voyage en Amérique et pour un autre coup du sort, le naufrage de La Sibylle. Le nom du navire apparaît suggestif dans cette écriture de la transparence. Il nous indique que les faits les plus évidents gardent quelque chose d’insondable, de sibyllin. Impénétrable sans doute, le cœur d’une Mme de Réan définitivement engloutie ; complexe, ce malheur qui ouvre sur un épilogue acceptable, permettant à Paul et Sophie d’échapper à des parents peu aimants sans être véritablement mauvais. 1 Ma mère, souvenirs de sa vie et de sa sainte mort, 1893, opuscule réédité dans le Grand Al ... 2 Ma chère maman, pour faire suite à Mon bon Gaston », souvenirs intimes et familiers, ouv ... 3 Guide de la littérature pour la jeunesse, Flammarion, 1975, p. 476. 6Dans Les Petites filles modèles, la renaissance de la mère est peut-être aussi celle de l’auteur, attentive à sa propre guérison après une longue maladie qui l’a paralysée. Cette maladie, cette mauvaise immobilité, on l’a attribuée aux effets d’accouchements répétés. Son fils, Monseigneur Gaston de Ségur, évoque de longues, de dures et très dures souffrances » qui l’ont obligée à rester étendue sur un lit de douleur » pendant plus de treize ans, mais gardant toujours une douceur inaltérable »1. Du plus loin que ses souvenirs la reportent en arrière, la sœur de Gaston, Olga de Pitray, revoit sa chère maman » toujours souffrante mais bonne, aimante et gaie, sauf les jours de migraine, quand les Nouettes devenaient une succursale de la Trappe pour le silence »2. Marc Soriano parle d’une maladie des reins rapidement compliquée d’affections d’ordre psychosomatique, assombrissement de l’humeur, douleurs au larynx qui l’obligent au mutisme, terribles migraines qui terrorisent son entourage... »3 7Aussi la violence de cet enfantement littéraire nous fait-il voir le génie de la comtesse, dont les relevailles peuvent se faire à la condition de dire si fort tout ce sang sur le visage, le cou, les bras de la femme. Maintenant, ce n’est plus le ventre qui saigne, mais la tête qui se trouve prise dans l’âpreté de l’invention littéraire. Car c’est par un véritable coup de force que toute fiction impose son petit monde, à la fois lié au grand monde et distinct de celui-ci, autonome. Avant Les Petites filles modèles, il y avait bien eu La Santé des enfants, un livre écrit pour les mamans, et Les Nouveaux contes de fées, conçus selon l’inspiration merveilleuse des XVIIème et XVIIIème siècles. Nous émeuvent-ils aujourd’hui pour autre chose qu’un effet de préface à l’œuvre en attente ? La naissance du roman, c’est la mort du conte de fées, c’est le moment où, telle Mme de Rosbourg, la comtesse de Ségur prend connaissance d’elle-même, naît à sa vocation, invente un nouveau genre. 8Pour autant Mme de Rosbourg n’est pas Mme de Ségur, ou plutôt elle ne l’est pas toute seule puisqu’il y aura dans Les Vacances une Mme de Rugès dont le nom est clairement une anagramme, tandis que Rosbourg » n’est qu’une ébauche de celle-ci. Mais il faut compter aussi avec Mme de Fleurville, et ces diverses femmes aux rôles si proches permettent de faire jouer toutes les équivoques, dans une sorte de familialité rendue floue comme dans cet autre jardin qui se voulait originel, celui de Paul et Virginie où deux femmes abandonnées unissaient leurs forces, ou plutôt leurs faiblesses. Dans l’Histoire de Blondine, de Bonne-Biche et de Beau-Minon, la reine mourait peu de mois après la naissance de sa fille Blondine ; ici, plus rien n’est dit de la prime enfance, tandis que la maternité s’éparpille dans le partage des rôles. Mme de Rosbourg, telle un nouveau-né qu’il a fallu sortir de la berline, est soignée puis adoptée par Mme de Fleurville qui ne tarde pas à lui proposer de rester définitivement chez elle et pourquoi donc me quitteriez-vous, chère amie ? dit un jour Mme de Fleurville. Pourquoi ne vivrions-nous pas ensemble ? Votre petite Marguerite est parfaitement heureuse avec Camille et Madeleine, qui seraient désolées, je vous assure, d’être séparées de Marguerite ; je serais enchantée si vous me promettiez de ne pas me quitter. » Mme de Rosbourg, craignant d’abord d’être indiscrète, finit par accepter eh bien, puisque vous me pressez si amicalement de rester ici, je consens volontiers à ne faire qu’un ménage avec vous. » Toutes deux sont libres », M. de Fleurville ayant été tué dans un combat contre les Arabes, et M. de Rosbourg ayant disparu en mer depuis deux ans. Les hommes néanmoins reviendront dans Les Vacances, mais pour occuper un espace féminin qu’ils animeront tout en se soumettant à sa réglementation. 9Ainsi constitué, ce ménage » se révèle apte à attirer et à retenir d’autres personnes. De cette violence naîtra le plus grand bonheur, une œuvre d’abord, qui, autour du noyau initial, viendra adjoindre des domestiques, des amis, des parents, tous néanmoins réunis plus par la conformité des tempéraments que par l’obligation du sang. Ainsi Camille et Madeleine adoptent-elles Marguerite et deviennent-elles des porte-enfants donnez-la-nous, nous pourrons la porter, nous la porterons... » Pour Marguerite elles sont maintenant Maman Camille » et Maman Madeleine ». Voilà encore un avantage de la fiction nous arrivent des personnages tout faits. S’il n’y a aucune naissance véritable, aucun nourrisson dans l’œuvre romanesque de la comtesse de Ségur, et si Marguerite est suffisamment grande pour avoir perdu la violence sauvage et irraisonnée d’un poupon, elle est encore assez petite pour avoir des naïvetés, des mots d’enfants, pour être à élever ». Ses premières paroles font rire par leur innocence qui rappelle celle d’un Simplicius Simplicissimus ou celle des héros du chanoine Schmid ma maman s’appelle maman... » Camille et Madeleine, si peu âgées qu’elles soient, trouvent quelqu’un sur qui exercer leur instinct d’éducatrices. 10Les Petites filles modèles voient donc s’épanouir une petite communauté féminine et fleurie. Une Marguerite de Rosbourg, doublement fleur par son nom, n’avait-elle pas de tout temps sa place au château de Fleurville ? Rien ne la retient au monde d’où elle vient et dont nous n’aurons aucune idée, puisque sa vraie famille est celle du livre. Car un livre est un lieu d’adoption, comme Sophie en fera l’expérience un peu plus tard, au terme de quelques malheurs. Lieu d’éducation également, ce livre trouve son régime dans des accidents, des bêtises, des erreurs qui ne demandent qu’à être rectifiées. Il n’y a de littérature enfantine qu’à partir d’une intention morale multipliant les naufrages, les enlèvements, les péripéties, pour revenir à un ordre premier. Ici, ces aventures seront toujours réduites à leur plus petite dimension, affectant ainsi à la banalité une ampleur démesurée. Elles se trouvent prises dans un espace limité, qui est beaucoup moins celui de la maison que celui du jardin, sorte de métaphore du livre, comme le montrent par ailleurs les nombreux jardins de la littérature didactique Jardin des roses, Jardin des racines grecques, Jardin des racines latines... Littérature enfantine de 11Le jardin se présente comme un lieu où peut s’exercer la lecture. Lieu topique de l’écriture et de sa réception, la manière même dont il est traité apparaît programmatique. A une écriture de la simplicité et de l’innocence, il convient d’appliquer une lecture de la simplicité, une sorte d’humilité critique qui ne nous place pas au-dessus de l’auteur, ou contre lui, tout en tenant compte du caractère sibyllin de son propos. Au lecteur, la comtesse ne propose pas un chemin bordé d’épines et qui n’en serait que plus glorieux, mais une petite voie pour une littérature toute petite, celle que cherchait le milieu du XIXème siècle. 4 Même s’il n’y a pas solution de continuité entre Aurélia et Sylvie, deux textes porteurs, ... 5 Marc Soriano, au titre primitif de Guide de la littérature enfantine, substituera celui de ... 12Autour de 1850, un air de grande simplicité souffle sur certains cantons de la littérature française La Mare au diable de George Sand 1846, Sylvie de Gérard de Nerval 18544 et Les Petites filles modèles 1858 organisent, avec des moyens différents, une sorte de retour en enfance conduisant moins à une littérature de jeunesse ou pour la jeunesse qu’à cette petite littérature, une littérature enfantine. Littérature enfantine », le discours critique hésite devant cette appellation d’ailleurs tardive et qui n’est guère attestée avant 1950. A l’époque de la comtesse on parlait encore d’ ouvrages d’éducation » ou de librairie spéciale ». Aujourd’hui, on hésite entre littérature pour la jeunesse ou pour enfants », livres pour enfants », littérature de jeunesse »5. Pour notre part, nous nous en tiendrons à cette appellation plus familière et plus naïve de littérature enfantine », parce que l’écart entre la littérature et l’enfant y semble moins marqué, et parce qu’on désigne sans doute une littérature pour l’enfance, mais plus encore une littérature de l’enfance et une enfance de littérature, une littérature qui prend certes l’enfant pour objet, mais qui est d’abord elle-même en enfance. Une petite littérature, non pas moins importante que la grande, bien plutôt petite comme un enfant et s’intéressant aux petites choses de la vie. 6 Production de l’intérêt romanesque, Mouton, The Hague-Paris, 1973, p. 50. 13Différente dans ses proportions, cette littérature l’est moins évidemment dans sa forme, et l’on peut même affirmer comme Charles Grivel qu’il n’existe pas de littérature spécifiquement enfantine ou spécifiquement destinée à l’adolescence. Ou que du moins, les mécanismes sur lesquels reposent de telles publications ne sont pas essentiellement différents de ceux qui régissent les romans offerts aux adultes, même s’ il existe des différences objectives, – identité du héros, brièveté, simplicité, moralisation accrue de la narration -mais non fondamentales, entre ces deux modes, structuralement analogues, de littérature »6. 7 Dominique Julia, dans l’Histoire de l’édition française, Tome 2, Le Livre triomphant 1660 ... 14Pourtant, si l’on s’attache aux environs de 1830, date charnière retenue en particulier par les concepteurs de l’Histoire de l’édition française, on observe le développement d’une littérature profane » pour la jeunesse, bien que contrôlée très étroitement par les instances ecclésiastiques. Cette littérature romanesque qui prétend toujours s’opposer aux romans, s’était ébauchée au milieu du XVIIIème, avec le déclin de la langue latine et l’avènement d’une autre idée de l’enfance, sous l’influence de Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre. En 1751, un inventaire effectué chez l’imprimeur-libraire de Limoges, Barbou, montrait que le fonds des ouvrages destinés aux enfants se partageait encore entre les livres scolaires, – dont les classiques en latin –, et les livres religieux. Deux pièces de la maison les abritaient, l’une appelée chambre des Cicérons », l’autre chambre du diocèse »7. Les lectures de l’enfance sont alors gouvernées par la grandeur ; grandeur du latin comme langue d’enseignement méritant seule cette dignité, grandeur de la religion offrant ses prières et ses vies exemplaires. 8 Michel Butor, Lectures de l’enfance », Répertoire III, p. 260. 15Le livre pour enfants est d’abord pensé dans la continuité de cette surveillance interne, de cette éducation indirecte » dont parlait Fénelon, où le plaisir n’est qu’un prétexte pour transmettre une morale, puis, au cours du XIXème siècle, un savoir. La société française, à partir du XVIIIème siècle au moins, considère que sa littérature n’est pas “bonne pour les enfants”. Il faudrait l’expurger, mais ce n’est pas seulement qu’elle dise trop, elle n’en dit pas assez », écrit Michel Butor8 . Le XVIIIème, en répandant la mode des ouvrages d’éducation, Conversations d’Emilie de Mme d’Epinay, Magasins de Mme Leprince de Beaumont, Veillées du château de Mme de Genlis, etc.., voit l’épanouissement de ce nouveau discours, marqué aussi par la prolifération. Au maigre choix d’ouvrages autorisés, on substitue une abondance de propositions qui va peu à peu fonder un commerce. 9 L’Enfant dans la littérature française des origines à 1870, p. 68. 10 L’Enfant dans la littérature française des origines à 1870, p. 72. 16On peut penser que ces livres préparent l’institution scolaire, la précèdent et l’accompagnent. Ils seront pourtant bien peu présents dans les manuels de l’école obligatoire, et c’est bien plutôt une sorte de communauté d’esprit qu’il faut chercher, car la découverte, ou plutôt l’avènement de l’enfant vrai », passe par une autre construction, celle de la langue réelle », de la prose élémentaire qui sera celle de l’école. Emile comme Paul et Virginie ou La Chaumière indienne agissent non seulement au plan d’une réflexion théorique, d’une doctrine », mais aussi et peut-être davantage par les récits et les descriptions qui appuient celle-ci, par une manière de présenter les choses, par un style. Dans un ouvrage désuet mais bien informé, L’Enfant dans la littérature française des origines à 1870, Jean Calvet observe que l’influence de Jean-Jacques Rousseau, autant que d’un philosophe, est celle d’un artiste qui a campé l’enfant dans des scènes d’un charme si prenant qu’elles font désormais partie de l’imagination de tous ceux qui lisent ». Qui ne connaît ces anecdotes racontées comme des souvenirs personnels, où le précepteur d’Emile met en action son petit élève, le canard enchanté, les gâteaux gagnés à la course, les carreaux cassés par mégarde ou par révolte, les promeneurs égarés dans la forêt de Montmorency, le carré de fèves cultivé avec amour, etc9... Le jardin d’enfants, lieu de pédagogie, parle à l’imagination, soit qu’il reste dans un voisinage immédiat, soit qu’on le transporte ailleurs, dans des îles, avec Bernardin de Saint-Pierre, dérobant et détournant Robinson Crusoe pour concentrer dans son livre tous les éléments rousseauistes qui pouvaient attendrir et charmer ses contemporains. Des enfants exilés dans une île lointaine, sauvage et charmante à la fois, des mères tendres, de bons nègres, une enfance heureuse et libre sous le ciel des tropiques, des aventures juste assez dramatiques pour provoquer une angoisse qui serre le cœur sans le briser, un amour naissant, une séparation douloureuse, un naufrage, et des larmes, des larmes... »10 11 Production de l’intérêt romanesque, p. 50. 17La littérature enfantine est généralement associée à celle du peuple. Ne dit-on pas du peuple qu’il est un grand enfant ? Et n’est-il pas convenu d’envisager indistinctement les lectures de l’un et de l’autre ? Travaillant sur un corpus de romans publiés entre 1870 et 1880, Charles Grivel retiendra ceux qui s’adressent aux seuls adultes, en suivant une distinction arbitraire, essentiellement d’ordre pratique, et note qu’à l’époque on est enfant plus longtemps, que le “peuple” est considéré en bloc comme le grand enfant ». Ainsi, la littérature que l’Institution, en son état actuel, prévoit pour l’enfant, est dérivée de celle-là qui sert à l’adulte. La littérature enfantine est simplement cette région de la littérature tout court dont les enfants se sont rendu propriétaires »11. 12 Le Sublime, c’est l’antiphrase choisie par un petit patron, Denis Poulot, pour désigner l’ ... 18Pourtant, l’enfant du peuple est enfant moins longtemps, et se mêle plus vite à la réalité des adultes. Gavroche, chassé par sa famille, joue au petit homme, tandis que les enfants du monde ségurien demeurent protégés. La littérature populaire, – qui n’est que fort rarement celle du peuple –, connaît le régime long et compliqué du roman-feuilleton, tandis que les premières lectures » des enfants aisés vivent sur une brièveté et une mièvrerie bien rendue par le terme de berquinade », forgé à ce moment par Baudelaire sur le nom de Berquin, l’ Ami des enfants » et du peuple. Il faudrait donc considérer l’existence de deux filiations dans la naissance et le développement de la littérature enfantine une branche populaire, avec toutes les équivoques qui s’attachent à ce terme, de tempérament épique, éprise de bruit et de fureur, à laquelle répondrait une branche aristocratique, faisant de l’enfance un principe de simplicité et d’humilité au sens où François de Sales parlait d’ enfance spirituelle », et prétendant déserter le sublime12. 13 Jacques Seebacher, Le Tombeau de Gavroche ou magnitudo parvuli », in Lire Les Misérables... 14 Les Misérables, La Pléiade, Editions Gallimard, 1971, p. 978. 15 Les Visages de l’enfant dans la littérature française du XIXème siècle. 16 Les Misérables, p. 978. 19Victor Hugo a su formuler cette dialectique » dans Les Misérables. Il y a pour lui une immensité du petit, une virtualité de puissance dans la faiblesse la plus extrême, une proximité de l’enfant et du colossal qui fait loger Gavroche dans le ventre d’un éléphant. Gavroche est le nain de la géante », comme le rappelle Jacques Seebacher dans un article significativement intitulé Le Tombeau de Gavroche ou magnitudo parvuli » Cette dialectique médiatrice du grand et du petit, c’était dès le début de la troisième partie le principe de Paris étudié dans son atome »13. Hugo lui-même intitule le chapitre II du livre cinquième de la quatrième partie Où le petit Gavroche tire parti de Napoléon le grand », et s’exclame O utilité de l’inutile charité des grandes choses ! bonté des géants ! Ce monument démesuré qui avait contenu une pensée de l’Empereur était devenu la boîte d’un gamin14. » Comme l’indique Marina Bethlenfalway, passant du marmot au géant », Gavroche est doté d’une effronterie épique » par Victor Hugo15. Ce pauvre pygmée »16, loin de trouver l’intimité dans le ventre du mastodonte où il emmène deux pauvres petits garçons qui pourraient être les deux petits abandonnés de L’Auberge de l’Ange gardien, reste en contact avec la grande ville, qu’il occupe comme en son milieu, à l’écoute de tous ses bruits et de tous ses mouvements. 17 Victor Hugo, L’Art d’être grand-père, Le Poème du Jardin des Plantes, I, Le Comte de Bu ... 18 id. IV, A Georges ». 19 id I, Le Comte de Buffon... ». 20 Dieu, VIII, La Lumière. 21 VH par a+b, le défi démocratique de la pensée » L’Arc n° 57, 1974, p. 63. 20Toute une section de l’Art d’être grand-père, dévolue au Jardin des Plantes, n’arrête pas de nous dire que le petit veut du grand, et nous chante l’accointance en quelque sorte naturelle de l’enfant et du fauve. Ainsi Hugo peut-il à loisir étudier deux gouffres, Dieu, l’enfance, la même chose au fond »17, à travers cette attirance pour l’animal, qui est de l’ombre errant dans les ténèbres »18, tout en liant l’épopée à la parodie insolente et sans règle19. S’intéressant à la science microscopique de Gavroche », Jean Maurel évoque ce poème qu’il rapproche de Gavroche, cet atome du rire et du rien ». Et touchant l’antithèse hugolienne des oreilles de l’âne et des ailes de l’Archange20, il ajoute Le problème de Dieu, chez Hugo, n’est pas un grand mais bien un petit problème, non pas le problème métaphysique du Tout du monde, de la grandeur du monde, mais le problème du petit, de l’infiniment petit de l’atome, problème originairement et génitalement, génialement physique21. » Cette inspiration lucrécienne vient de loin. Jean Maurel note que Hugo avait obtenu un 5ème accessit de physique au concours général en 1818, sur la Théorie de la rosée ». C’est bien du côté de ces mêmes atomes et du lyrisme de leurs transformations, que se situe l’ouvrage inclassable de Zulma Carraud, à la fois un livre élémentaire » pour le peuple et un véritable poème en prose, Les Métamorphoses d’une goutte d’eau, suivies des guêpes, de la fourmi, de la goutte de rosée. 22 Victor Hugo, Les Enfants Le Livre des mères, Bibliothèque d’Education et de Récréation ... 21Avec Victor Hugo, un apetissement nous conduit sans cesse du lyrisme au prosaïsme, et inversement. D’une part, l’âne, animal dont il se réclame, est lyrique, d’autre part la poésie, s’emparant de l’enfant, devient au contraire prosaïque. En proximité immédiate avec le fauve ou l’animal énorme, l’enfant le dépoétise en même temps, le rend trivial et l’accommode à sa façon, lui qui par ailleurs est un ange. Mais Hugo peut aussi associer l’enfance au sublime, se croit encore tenu de le faire quand il parle aux mères dans Les Enfants, sous-titré Le Livre des mères, qui rassemble des poèmes consacrés aux enfants mais ne s’adressant pas véritablement aux enfants, comme l’avoue Hetzel dans la préface d’une édition relevant pourtant de la librairie spéciale » ce qui est offert aux mères dans ce recueil, c’est le miroir même de leur cœur, c’est le trésor amassé de leurs plus vives comme de leurs plus suaves émotions [...] Les enfants n’en sont que le sujet, les mères en sont le but... »22 Aussi, dans ce recueil, est-ce le deuil qui va l’emporter, puisque l’enfant, tel un oiseau quand on a laissé sa cage ouverte, s’est envolé Ecrit sur le tombeau d’un petit enfant, A la mère de l’enfant mort... Hugo prolonge la parole adorante d’une Marceline Desbordes-Valmore dont il reprend les accents, l’évocation d’une éternité sans fiel, tout en rompant brusquement avec elle Enfant ! loin du sourire et des pleurs de ta mère, N’es-tu pas orphelin au ciel ? A l’ombre d’un enfant 23 Les Enfants, Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit », p. 135-137. 22Et le destin de Louis XVII comme celui du Roi de Rome, se révèlent ainsi exemplaires de cette illusoire royauté de l’enfant, que tout le monde attend Quand l’enfant paraît, émerveillé qu’on puisse tout ensemble Etre si grand et si petit » Le Roi de Rome. – Où donc ai-je régné ? demandait la jeune ombre, je suis prisonnier, je ne suis point roi » Louis XVII. Dans le malheur de l’enfant, le poète renoue avec le sublime Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? » C’est la misère même qui devient épique, la machine sombre est un Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre »23. Il y a aussi cette Chanson qui évoque les oiseaux et les agneaux sur lesquels plus personne ne veille 24 L’Enfant, Chanson, p. 134. L’homme au bagne ! la mère A l’hospice ! ô misère ! Le logis tremble aux vents. L’humble berceau frissonne. Que reste-t-il ? Personne. Pauvres petits enfants. Jersey, février 185324 23Cette petite pièce éloquente contient une partie du projet grandiose des Misérables, tant il est vrai, comme l’écrit Stahl dans sa préface, que cette œuvre distinguée par ses qualités robustes et parfois terribles » est aussi celle qui est sans rivale sur ce doux terrain de la famille ». D’une réduction du monde aux proportions puériles, on passe ainsi à un enfant lui-même géant par le malheur. Victor Hugo, s’il ne l’a pas véritablement créée, impose cette nouvelle image immédiatement discutée par la comtesse de Ségur, puisqu’elle aussi, nous le verrons, s’empare de ce matériau, – le père bagnard, l’enfant abandonné –, pour en tirer, avec L’Auberge de l’Ange gardien, un autre parti esthétique et moral. 25 L’Innocence et la Méchanceté, p. 410. 26 La Sainte et la Fée, p. 133-134. 27 Jean Calvet, La Littérature religieuse de Saint François de Sales à Fénelon, p. 53. 28 Jean Perrot, Art baroque, art d’enfance, p. 11. 24Cet ouvrage, qui répond très directement aux Misérables, nous paraît aller tout entier dans le sens de l’enfance spirituelle, telle que l’analyse Wladimir Jankélévitch lorsqu’il reprend l’image d’une robe ni doublée ni brodée pour désigner l’âme simple. L’étoffe de cette robe n’est pas plissée, ni bigarrée de mignardises hétéroclites et de façons disparates » La simplicité exclut le plissement de la réflexion, non parce qu’elle le précède, comme la première innocence, mais parce qu’elle le suit ; non parce qu’elle offrirait aux regards le front lisse de l’insouciance avant la première ride du souci, mais parce qu’une nouvelle jeunesse a effacé ses rides... »25 L’enfance serait donc moins un commencement qu’une conquête Remettez-vous à l’a, b, c, s’il le faut, pour recommencer l’édifice par les fondements », conseille Fénelon, et cette enfance ultérieure » ferait renoncer à ce qui orne et ce qui complique, ou du moins plaît-il de le dire, car le même Fénelon, pour parler de la foi, écrit non sans préciosité Vous pleurez, comme un petit enfant le bonbon perdu. Dieu vous en donne de temps en temps. » Yvan Loskoutoff, qui rapporte ce propos, rappelle le caractère nouveau du mot bonbon », emprunté sans doute au jardin des nourrices comme le suppose Philippe Ariès, et montre que tout un pan de la littérature spirituelle se trouve soumis à l’influence de la dévotion enfantine Le lait de candeur mystique n’est plus seulement des chèvres de l’Hymette, il coule aussi à flots du sein des nourrices [...] Les bonbons, la bouillie, si frappante dans la correspondance avec Mme Guyon, le lait enfin il y aurait toute une étude à faire sur la gastronomie enfantine et divine dans l’œuvre de Fénelon... »26 La douceur conduit aux douceurs, aux sucreries ou aux laitages, n’a-t-on pas reproché à François de Sales une certaine fadeur de style, un abus de miel, de sucre, de fleurs, de comparaisons jolies qui ne sont que jolies [...] Et il est vrai qu’on peut préférer une écriture plus virile ; mais ceux qui sont sensibles à la manière franciscaine trouvent bien du charme dans ces enluminures27. » C’est ainsi que Jean Perrot a pu envisager l’art d’enfance comme un art baroque principalement illustré par le conte de fées où la fantaisie, jeux de masques, travestissements, reflets de miroirs et métamorphoses, se donne libre cours28. Et lire la comtesse de Ségur amène à se demander où va sa préférence, vers une sorte de rationalisme hérité du XVIIIème siècle, ou vers une surcharge illustrée autant par ces conteuses aristocratiques que par le regain mystique de la seconde moitié du XIXème siècle. L’enfant adulte 25Pourtant, la simplicité risque bien de n’être qu’une pose, comme le montre la confrontation avec de multiples auteurs venus d’horizons divers. La littérature enfantine dialogue avec tous les genres, avec le catéchisme comme avec le roman licencieux, avec le conte et la fable, ou encore avec le poème hugolien. Par un jeu d’échanges, elle peut même être vue comme une sorte de mise à l’épreuve de la grande » littérature, comme un geste critique, d’abord initié par les cercles mondains, puis prolongé aussi bien par les milieux philanthropiques que par les cénacles romantiques, et aujourd’hui par les centres de recherche universitaires. Les rapprochements possibles de Ségur avec Sand ou avec Nerval estompent quelquefois les frontières qui délimiteraient une littérature réservée à la jeunesse. Les romans champêtres de George Sand ainsi que Sylvie n’auront pas tardé à figurer dans les catalogues spéciaux. Contradictoirement, la littérature enfantine est aussi bien une littérature adressée » et une littérature dérobée », si bien que ses contours resteront flous. 29 Guide de la littérature pour la jeunesse, p. 485. 30 Présentation de La Fortune de Gaspard par Marc Soriano, Jean-Jacques Pauvert, 1972, p. IX. 26Mieux, la singularité de l’œuvre ségurienne tiendrait même dans le fait qu’on puisse la dire pour adultes et la retirer du domaine de l’enfance. Avec La Fortune de Gaspard, Marc Soriano n’estime-t-il pas qu’on s’est trompé de public ? Rappelant que pour André Brauner le répertoire de la littérature enfantine s’est constitué à partir des laissés pour compte de la littérature pour adultes et aussi des emprunts ou des vols effectués à ses dépens », il inverse la proposition Avec la comtesse de Ségur, nous nous trouvons plutôt en face du phénomène inverse. La plupart de ses récits, faux classiques de l’enfance, deviennent, avec le temps, sinon des classiques pour adultes, du moins des documents vivants et audacieux sur les origines de notre civilisation industrielle et sur celle de notre société de consommation29. » Soriano voit La Fortune de Gaspard comme un des romans les plus significatifs et les plus mystérieux du XIXème siècle. L’un des moins connus aussi, puisqu’il a choisi, pour se faufiler parmi nous, le plus sûr des déguisements, celui de la littérature pour la jeunesse30. » Cette histoire d’un Julien Sorel morose », cette œuvre noire » d’une rare férocité », dévoilerait le véritable caractère de l’entreprise ségurienne, qui en définitive ne s’adresserait pas, ou plus, aux enfants. 31 Plaisirs et lectures, p. 126. 32 La Librairie Hachette de 1826 à nos jours, Hachette, 1964, p. 223. 33 Jean Rimaud, Les petites filles modèles ont cent ans », Etudes, 1958. 27Le geste de Soriano est décisif ; en suivant José Cabanis, à qui Gaspard rappelait déjà Julien Sorel31, il fait tomber la barrière imaginaire qui sépare deux types de littérature, il ouvre une perspective critique pleine de promesses. On commence seulement à entrevoir ce que l’œuvre ségurienne doit à un entourage qui consacrait beaucoup de son temps aux lettres. Une manière de faire l’âne, de prétendre se couper de la littérature et de ne rien devoir aux autres, a longtemps égaré la critique. Pourtant, la comtesse nous donne l’exemple d’un emprunt explicite dans Un bon petit diable, quand Charles Mac Lance lit Nicolas Nickleby à Mme Mac Miche. Comme par dérision, puisqu’une partie des mésaventures du jeune garçon est directement inspirée du roman de Dickens. On parlerait aujourd’hui de mise en abyme », la comtesse de Ségur décrivant la pension Old Nick d’après le modèle des Dotheboy Houses, sur lesquelles Dickens avait enquêté. Depuis son séjour à Paris en 1856 et son contrat avec Hachette, l’œuvre de ce dernier était bien connue des lecteurs français, et pourtant Jean Mistler avoue son étonnement en découvrant cette lecture de la comtesse32, tandis que Jean Rimaud pense qu’elle n’avait pas lu Dickens33 ! 34 Lettres au vicomte et à la vicomtesse de Simard de Pitray 1 Ma chère maman, in Le Grand Album Comtesse de Ségur, p. 72. L’un des intérêts suscités par l’œuvre de la comtesse tient dans cette situation à mi-chemin entre le récit bref, la saynète, illustrée par les berquinades, et une forme romanesque qui reprend et organise différemment la même matière. Cette matière que la comtesse aurait tout simplement puisée dans ses souvenirs. Mgr Gaston de Ségur écrivait dans Ma Mère Les Malheurs de Sophie, vrai petit chef-d’œuvre, n’étaient guère que le récit des petites aventures de ma pauvre mère, dans ses premières années. Cette habitude d’écrire toujours ainsi d’après nature donne à tous les livres de ma mère un naturel, un charme spécial. » Olga de Pitray, quant à elle, s’approprie en quelque sorte l’origine d’un certain nombre de malheurs », entreprenant de raconter sa propre enfance dans un ouvrage consacré à sa mère, Ma chère maman Comme cet accident, la tortue, puis l’écureuil, furent dans le livre de ma mère Les Malheurs de Sophie, des réminiscences de ma jeunesse1. » 1 Elle faisait une découverte d’un prix inestimable, la découverte de l’enfant réel », écrivait Jean Calvet de la comtesse. En fait, celle-ci pouvait reprendre à Berquin, non seulement la peinture d’une famille aristocratique aux champs, mais un récit dialogué, aux commencements abrupts prenant quelquefois des airs de résumé, sans compter les mésaventures vécues par de jeunes personnages. Dans Les Enfants qui veulent se gouverner eux-mêmes, de Berquin, Julie et Casimir manquent de se noyer, et dans Le Serin, Joséphine, se lassant de l’oiseau qu’elle chérissait, le laisse mourir de faim ; Le Petit joueur de violon, qui oppose un vrai » fils, Charles, à un fils adoptif, Saint-Firmin, annonce la trame de Après la pluie le beau temps. Mais le récit chez Berquin reste une fable à l’état d’ébauche, sans rebondissements et ne retenant que le strict nécessaire pour conduire à la moralité. 2 Carl-Gustav Nieritz est un maître d’école qui a connu le succès avec de nombreux récits ra ... 2Il n’en reste pas moins un modèle, suggérant que nature et naïveté résultent d’une posture mentale patiemment construite par une littérature en gestation. La comtesse de Ségur est très au fait de ce qui s’écrit dans son domaine, n’hésitant pas à conseiller son éditeur pour tel ou tel titre à publier, à republier ou à traduire, Le Livre de la jeunesse d’Eugénie Foa, et surtout les Contes de l’allemand Nieritz, sur lesquels elle revient maintes fois, désirant pousser une jeune traductrice dans le besoin, et qu’elle compare à ceux du chanoine Schmid2. Elle commande pour son propre compte et pour celui de sa famille les romans de Mayne Reid traduits par Henriette Loraux dans la Bibliothèque rose », les œuvres d’Edmond About, d’Alexandre Dumas, elle évoque Dickens qui est un auteur essentiel chez Hachette, ou Nid de nobles de Tourgueniev... En 1861, pour son petit-fils Jacques de Pitray elle envoie Pierre l’ébouriffé, une traduction du fameux Struwwelpeter du Dr Heinrich Hoffmann, connu aussi sous le titre de Crasse-Tignasse. 3La drôle cruauté de cet ouvrage séduit depuis 1845 des générations d’enfants. C’est Pauline qui joue imprudemment avec des allumettes et dont il ne reste Que des cendres en petits tas », tandis que l’homme aux ciseaux » n’hésite pas à mutiler la main du jeune Conrad qui se suce le pouce. Certes, la forme rimée, l’exagération même du propos, tempèrent beaucoup de sa férocité, mais il reste qu’on ose toucher à la sainte image de l’enfance et qu’on lui épargne le pardon systématique. C’est Louis Ratisbonne qui avait édité à compte d’auteur, sous le nom de Trim, sa propre traduction, reprise en 1861 et 1862 par Hachette dans la série des Défauts horribles, histoires ébouriffantes et morales pour les petits enfants de 3 à 6 ans, dits Albums Trim », au texte et à l’illustration assez vifs, dans la ligne de ce premier ouvrage on y trouve l’Histoire comique et terrible de Loustic l’Espiègle Eulenspiegel ou Jean Bourreau, bourreau des bêtes, cité par la comtesse de Ségur. 3 En 1998, le catalogue de la librairie Godon à Lille proposait les 16 volumes in 8 du Lycée ... 4 Voir la liste dans Les Rostopchine p. 53-54, de Marthe de Hédouville, retranscrite avec ... 4Dans Les Petites filles modèles, elle évoque Le Robinson suisse et les Contes de Grimm. Tout cela reste allusif et le critique rêve d’en savoir plus sur l’ensemble des lectures, sans doute considérable3. On peut cependant avoir un aperçu des bibliothèques d’enfants en consultant le catalogue des livres appartenant à Olga, Lydie et Victor Rostopchine, les neveux de la comtesse, qui bénéficient d’une éducation de qualité. Ce catalogue, dressé par les enfants eux-mêmes, compte 42 ouvrages, parmi lesquels Le Magasin des Enfants, les Contes de Perrault, 15 volumes du Journal des Enfans, plusieurs livres de Mme Guizot, et de nombreux titres d’Eugénie Foa4. 5Certaines références se font plus précises, comme dans les Mémoires d’un âne, quand Henriette regrette que Cadichon ne puisse parler, car il raconterait beaucoup d’histoires ; à Elisabeth qui a lu les Mémoires d’une poupée, Madeleine rétorque Ne crois donc pas de pareilles bêtises, ma pauvre Elisabeth ; c’est une dame qui a écrit ces Mémoires d’une poupée, et, pour rendre le livre plus amusant, elle a fait semblant d’être la poupée et d’écrire comme si elle était la poupée [...] Comment veux-tu qu’une poupée qui n’est pas vivante, qui est faite en bois, en peau et remplie de son, puisse réfléchir, voir, entendre, écrire. » 6La poupée, qui ne servait chez Fénelon qu’à animer une sorte de catéchèse, devient ici le prétexte d’un débat qui porte sur les manières de raconter, et qui permet à la littérature enfantine de se célébrer elle-même. Car la comtesse de Ségur rend ici hommage à Julie Gouraud, auteur de ces Mémoires d’une poupée, un des grands succès de cette librairie spéciale, et qui figure dans le catalogue des enfants Rostopchine. D’où l’importance d’un texte établi avec précision dans certaines éditions, les mémoires d’une poupée » apparaissent comme un groupe de mots et non comme un titre, ce qui gomme l’effet voulu par la comtesse. D’ailleurs, poursuivant le jeu, Julie Gouraud répondra à son tour dans l’introduction de ses Mémoires d’un caniche ... je ne suis pas plus bête qu’un autre, et je ne vois pas pourquoi je n’écrirais pas ma petite histoire, à l’exemple des poupées, des petits garçons, voire des ânes. Tous ces auteurs ont donné le nom pompeux de mémoires à leurs récits. Pourquoi ne les imiterais-je pas ? 7Ces quelques lignes illustrent également la position de Julie Gouraud à l’égard de la comtesse de Ségur ; position ambiguë d’allégeance et de distanciation. En effet cet auteur 1810-1891, née et élevée à Tours, avait commencé sa carrière bien avant la comtesse, fondant dès 1832 le Journal des jeunes personnes et publiant en 1839, chez Ebrard, les Mémoires d’une poupée, sous la signature de Louise d’Aulnay. Mais c’est dans la Bibliothèque Rose » qu’elle fait éditer ces Mémoires d’un caniche, en 1866, rejoignant un éditeur et une collection où elle figurera au tout premier rang. Les Mémoires d’un caniche connaîtront onze rééditions jusqu’en 1913. Leur début affiche en quelque sorte sa dépendance au modèle ségurien, tant on croirait revivre le début des Vacances Où est-il ? Voici la voiture, on ouvre la grille, Paul, Henriette, Louis, venez, venez donc ! Le voici ! le voici ! Les enfants accouraient tout en s’appelant, les bonnes cherchaient en vain à rétablir l’ordre interrompu par l’arrivée d’une berline à quatre chevaux qui s’avançait au milieu de la grande cour du château. 8Mais ce caniche remarquez la proximité du mot à la fois avec âne » et avec Cadichon », n’a plus rien du caractère effronté de son modèle, puisqu’il se défend d’être savant, de savoir-faire une partie de dominos ou d’additionner la dépense d’un collégien au retour d’une promenade générale, tout en se flattant de sa bonne réputation », de sa fidélité, de son obéissance, voire même de son absence d’ambition, bien qu’on lui ait donné, en quelque sorte par antithèse, le nom guerrier de César. 5 Lettres 15 et 19, Lettres à son éditeur. 6 Laura Kreyder, Les Incivilités puériles d’un âne », L’Orne de la comtesse de Ségur, Fict ... 9Dans sa correspondance, la comtesse cite à plusieurs reprises un autre ouvrage puéril, Douze Histoires pour enfants de quatre à huit ans, parues en 1858, et qui semblent représenter pour elle une sorte de référence. Elle en réclame des exemplaires à son éditeur et souhaite que Les Malheurs de Sophie, qui sont des histoires d’enfants très jeunes », soient imprimés avec les caractères de cet ouvrage, qu’elle cite encore pour comparer sa pagination avec celle des Mémoires d’un âne5. On y trouve en effet bien des traits séguriens, écrit Laura Kreyder une poupée nommée Madelon est oubliée sous l’orage toute une nuit ; une petite fille perdue, à la question “Comment s’appelle ta maman ?”, répond “maman” ; un caniche savant, racheté au cirque, menacé d’abandon à cause de son défaut de propreté, réussit à se réhabiliter en faisant capturer des cambrioleurs6. » 10Cependant, Les Petites filles modèles sont déjà écrites à ce moment, et l’antériorité semble devoir être trouvée dans un autre petit ouvrage, également anonyme et paru chez Mame en 1854, Veillées instructives et amusantes, par Mme de ***. La matière des saynètes est celle des Petites filles modèles, des Malheurs de Sophie ou de La Sœur de Gribouille. Ce qui passe pour le vécu » d’une famille particulière est donc un bien commun, dont on ne sait s’il doit à des emprunts et à des influences ou à un air du temps ». Ces Veillées sont au nombre de huit Le Bon cuisinier », La Partie d’âne », Grisette », Le Petit chat », La Fuite du jardin », Le Petit homme », Le Petit lapin », La Petite maison ». Dans la première, les enfants veulent préparer eux-mêmes leur goûter. C’est un récit vif, commençant par un dialogue 11– Qui est-ce qui sera le cuisinier ? Qui est-ce qui sera le cuisinier ? 12– C’est moi, c’est moi, cria une petite fille. 13– Non, je vous dis que c’est moi, répondit un petit garçon. 14– Je vous l’ai demandé hier, dit la petite Marie. 15On assiste aux maladresses des enfants Louis casse les assiettes, Marie s’inonde de l’eau d’un pot plus grand qu’elle. Quant à Louis, le cuisinier en chef », le voici en action pendant qu’il a réussi à éloigner les autres A ces mots il s’assit tranquillement, puis, savez-vous ce qu’il a fait ? Il prend la tablette de chocolat et la râpe avec soin dans sa bonne terrine de lait ; quand il l’eut bien mêlée, il y mit du sucre, remua bien le tout, et ensuite, prenant sa terrine à deux mains, le voilà buvant tout à l’aise son excellente crème, jusqu’à ce que la terrine fût vide, et qu’il n’en restât pas une goutte. 16Les cerises, les pommes, les macarons ayant connu le même sort, il entreprend de tout remplacer par des compositions de sa façon Alors avec de l’eau, de la terre, il fit un beau gâchis, qu’il divisa par petits pâtés et qu’il mit un instant sécher au soleil, et ensuite il les posa avec soin sur un beau plat blanc. C’était superbe. “Combien ils vont se régaler ! Je suis bien sûr qu’il n’en restera pas un seul”, dit-il avec malice. “Et les compotes que j’oubliais, reprit-il. Ah ! cette fois je ne sais trop comment faire... Bah ! que je suis sot ! Il faut faire comme pour les cerises.” Courir à un pommier, en cueillir du fruit bien sur et bien vert, fut pour Louis l’affaire d’un moment ; les couper en morceaux fut fait encore plus vite. Il couvrit le tout d’une eau sale qui ressemblait à un jus un peu épais. “Ah ! pour le coup, on se ferait fouetter pour manger de cette compote”, dit-il. 17Une même inspiration saisit Sophie lorsque, ayant reçu un joli ménage pour son anniversaire, elle prépare le thé pour ses petites amies “A présent, dit-elle, je vais faire du thé.” Elle prit la théière, alla dans le jardin, cueillit quelques feuilles de trèfle, qu’elle mit dans la théière ; ensuite, elle alla prendre de l’eau dans l’assiette où on en mettait pour le chien de sa maman ; elle versa l’eau dans la théière. “Là ! voilà le thé, dit-elle d’un air enchanté ; à présent, je vais faire la crème.” Elle alla prendre un morceau de blanc qui servait pour nettoyer l’argenterie ; elle en racla un peu avec son petit couteau, le versa dans le pot à crème qu’elle remplit de l’eau du chien, mêla bien avec une petite cuiller, et, quand l’eau fut bien blanche, elle replaça le pot sur la table... 18Quant à Gribouille, réincarnation masculine et prolétaire de Sophie, lorsqu’on lui demande de préparer un bon dessert, il s’en va dans le jardin chercher de la mousse Gribouille réfléchit un instant... J’y suis ! s’écria-t-il. La mousse bien arrangée dans le compotier Gribouille arrange la mousse, je prends ma compote, je la vide sur la mousse... Gribouille fait à mesure qu’il dit. Je range proprement les abricots sur la mousse... J’ai les doigts tout poissés ! Cette mousse a bu tout le jus... Les prunes maintenant... Là... c’est fait... Drôle de compote tout de même !... Tiens ! des fourmis qui étaient dans la mousse et qui se sont noyées dans le jus ! Oh ! comme elles se débattent ! Je les aiderais bien à se sauver ; mais j’ai peur qu’elles ne me piquent les doigts... 19Les chapitres de l’Histoire de ma vie consacrés à la petite enfance constituent eux aussi un répertoire de saynètes propres à être réutilisées, revivifiées à chaque fois dans un nouveau récit. On y trouve même une recette de pâtés à la crotte », digne de Sophie ou de Gribouille et enseignée à la petite Aurore par son demi-frère Hippolyte Nous prenions du sable fin ou du terreau, que nous trempions dans l’eau et que nous dressions, après l’avoir bien pétri sur de grandes ardoises en lui donnant la forme de gâteaux. Ensuite, il portait tout cela furtivement dans le four et comme il était fort taquin déjà, il se réjouissait de la colère des servantes qui, en venant retirer le pain et les galettes, juraient et jetaient dehors nos étranges ragoûts cuits à point. 20Etrange projet en vérité que de raconter une histoire de sa vie qui ressemble à celles de tous les autres, ou que de conter aux enfants leurs propres aventures. Etrange projet renforcé par le souci du détail tournant lui-même souvent au grotesque les inventions de Sophie ou de Gribouille, les facéties de Cadichon, sont pleines de rusticité. Si bien que l’intention édifiante, – sauf lorsqu’elle touche à un véritable cas de sainteté comme dans Pauvre Blaise –, se trouve couverte par la matérialité de l’anecdote. Dans les Veillées instructives et amusantes de Mme de***, il y a bien des moralités Aussi, je puis vous l’assurer, Henri fut guéri pour toujours de sa gourmandise. On dit que bien longtemps après il ne pouvait voir une galette sans penser à sa malheureuse aventure et sans être triste. » Mais le souvenir qui demeure, c’est celui de la petite fille qui a perdu son étrier et qui est menée à son plus grand trot par un âne entêté ; c’est toujours dans la même histoire, celui du gros Henri qui a dérobé et caché dans ses poches les provisions du pique-nique Deux ruisseaux s’échappant du pantalon d’Henri laissaient derrière lui deux traces d’eau qui auraient pu le faire suivre à la piste. Mais bientôt, en s’approchant du malheureux enfant, on vit bien autre chose. Son pantalon était absolument traversé par une eau rose et épaisse qui lui donnait une fort singulière physionomie ; puis, en arrivant tout près du fugitif, on vit que ce pantalon n’était pas seulement mouillé, mais qu’il formait par-derrière une espèce de sac, et qu’il était rempli d’une bouillie épaisse, qui ressemblait à quelque chose de fort peu propre ; et à mesure qu’Henri fuyait, cette espèce de sac, ballot tant à droite et à gauche, donnait au malheureux Henri la plus grotesque figure. 21Et l’auteur de s’attarder complaisamment sur les vêtements tachés du gros Henri qui, ne s’étant pas contenté de cacher une partie du déjeuner et en ayant beaucoup mangé pendant la route, sent bientôt venir le mal de cœur et la colique. On sait que la comtesse n’hésitera pas à aborder ce type de sujet et que dans Les Vacances on raconte une aventure du Maréchal de Ségur intitulée Les Revenants », qui doit sa célébrité aux douleurs d’entrailles » du personnage. “Comment reconnaîtrai-je ma dalle ? dit le maréchal ; je ne puis l’ouvrir maintenant, puisque deux heures sont sonnées. Si j’avais emporté ma tabatière ou quelque objet pour le poser dessus.” Pendant qu’il réfléchissait, il ressentit de cruelles douleurs d’entrailles, résultat du saisissement causé par la visite du chevalier. Le maréchal se prit à rire “C’est mon bon ange, dit-il, qui m’envoie le moyen de déposer un souvenir sur cette dalle précieuse.” 22Le maréchal découvre qu’il a rêvé son aventure Fantôme, trésor, tout était un rêve, excepté le souvenir qu’il avait cru laisser sur la dalle et que ses draps avaient reçu... » Les Veillées cultivent ce grotesque qui sera la marque ségurienne par excellence, représentée de la manière la plus efficace par les chutes dans la mare, manifestations d’une véritable hantise, mais aussi figures d’une transgression à l’échelle de l’enfant car on ne sort de la mare que tout à fait sali. La troisième veillée, Grisette », se termine donc sur la chute d’un garçon brutal avec son âne, chute dans une eau épaisse qui rend l’accident sans gravité et comique Ce fut alors que les rires redoublèrent, et rien ne peut donner l’idée de la figure étrange qu’avait Paul. Une boue épaisse le couvrait depuis les pieds jusqu’à la tête ; une eau sale tombait goutte à goutte de ses cheveux, coulait le long de sa figure et y laissait de larges traces noires... » 23Les Mémoires d’un âne développeront à l’envi ce qu’on peut appeler une esthétique naturaliste », en prenant le mot dans son sens restreint, vulgaire pour ainsi dire, et renvoyant au sale ». Esthétique étonnante si l’on pense que la littérature naturaliste est présentée de manière répulsive par les mêmes milieux qui portent » l’œuvre ségurienne En revenant par la ferme, nous longions un trou ou plutôt un fossé dans lequel venait aboutir le conduit qui recevait les eaux grasses et sales de la cuisine ; on y jetait toutes sortes d’immondices, qui, pourrissant dans l’eau de vaisselle, formaient une boue noire et puante. J’avais laissé passer Pierre et Henri devant ; arrivé près de ce fossé, je fis un bond vers le bord et une ruade qui lança Auguste au beau milieu de la bourbe. Je restai tranquillement à le voir patauger dans cette boue noire et infecte qui l’aveuglait. 24Quel est donc le modèle d’ instruction » dispensé par les Veillées de Mme de***, et prolongé par la comtesse de Ségur ? Dans La Fuite du jardin », la petite Louise a son espace pour jouer. Elle ratisse, elle arrose ses fleurs. Il en fut ainsi pendant une heure ; puis ensuite, de temps en temps, Louise releva la tête pour regarder dans la campagne, car, pour, elle, sortir du parc, courir les champs toute seule, c’était là le véritable bonheur. » L’épisode qui va suivre, nous le connaissons pour l’avoir lu dans Les Petites filles modèles. Louise s’en va sur la route, espérant rejoindre une petite fille qui passait ; elle se perd, est recueillie pour la nuit par un cantonnier et sa famille, chez lesquels elle fait l’expérience de la pauvreté, du pain noir et dur, du matelas de paille. De la même manière, leur rencontre avec le boucher Hurel sera pour Sophie et Marguerite une entrée dans le monde des humbles. 25 Jamais, depuis ce jour, Louise ne fut désobéissante », conclut Mme de ***. Mais dans la veillée suivante, c’est Henri qui oublie de donner à manger à son lapin, et dans la huitième veillée, La Petite maison », les heureux propriétaires d’une jolie petite cabane ont beaucoup de difficulté à vivre en harmonie. Les malheurs » recommencent donc toujours, et l’on n’en a jamais fini de raconter, de revenir sur des bêtises dont le schéma répétitif ne semble pas lasser. La dînette, la promenade à dos d’âne, les animaux mal soignés, la cabane, tous ces motifs sont donc déjà traités avant la comtesse, comme ils le seront après elle, et d’abord par sa propre fille. Les Veillées développent de manière très détaillée l’installation dans cette cabane, composée de deux chambres et très bien équipée mobilier, vaisselle en suffisance ; un jardin cultivé. C’est Boucle d’Or découvrant la maison des trois ours. Les gestes de la vie quotidienne, faire son lit, laver la vaisselle, blanchir le linge ou tirer de l’eau, deviennent des jeux. 26Motifs de l’enfance heureuse apprenant la vie par le simulacre, le jeu, qui reproduisent à une échelle réduite les événements de l’existence adulte. Ce qu’indique, de manière programmatique, le début des Petites filles modèles, nous montrant deux accidents, d’abord celui de Mme de Rosbourg dont la voiture verse dans un fossé, puis celui de la petite diligence de Camille et Madeleine. Tous les voyageurs qui étaient dedans se trouvèrent culbutés les uns sur les autres, une glace de la portière était cassée... » Mais si les voyageurs ont mal à la tête, comme maman ? » demande Marguerite. 27Aussi, pourrait-on s’étonner d’une postérité qui a retenu les Malheurs de Sophie plus que ces Veillées, plus même que les berquinades, lesquelles, après un succès si prolongé, ne sont plus guère lues que par les historiens de la littérature enfantine. Mais chez tous ces auteurs, la table des matières est éloquente, se réduisant à une liste de prénoms qui se renouvellent sans cesse, chaque enfant étant substituable à un autre, et les mères, Mme de Clairvalle, Mme de Praival, Mme de Limerac, ou les pères, M. de Réville, M. de Clermont, se montrant, dans les Veillées, d’une inaltérable égalité d’humeur excluant en fin de compte l’affectivité. Chaque veillée forme un tout, aucune progression psychologique ne mène de l’une à l’autre, et les parents ne conservent qu’un rôle fonctionnel et mécanique, jamais remis en cause. N’étant sujets ni à l’erreur ni à la faiblesse, ils dispensent une éducation harmonieuse, dont les éléments semblent s’additionner, bien qu’elle soit toujours à recommencer. Chaque erreur, chaque bêtise, présente une sorte de nécessité la déconvenue, la punition, méritées et acceptées, sont toujours efficaces et conduisent à des résolutions définitives qui ont pour effet de faire sortir du champ de la fiction le personnage devenu inintéressant. 28Or, tout lecteur saisit vite qu’il n’en va pas ainsi chez la comtesse de Ségur, même dans les premières compositions qui gardent l’apparence d’une suite de saynètes non seulement, Sophie est l’unique auteur et victime des Malheurs, mais ceux-ci ne se conçoivent pas sans Mme de Réan, qui n’est pas une mère parmi d’autres et dont on sait par ailleurs qu’elle est condamnée à mourir. N’a-t-on pas lu Les Petites Filles modèles, où Mme Fichini a pris sa place ? La comtesse de Ségur adopte une procédure véritablement balzacienne, rapportée au caractère minuscule de l’intrigue, en reliant entre elles des anecdotes qui jusqu’alors n’étaient que juxtaposées dans ce type de littérature. Procédure miniaturisée, puisqu’elle s’effectue à la taille d’un livre et non d’une œuvre, même s’il arrive à plusieurs titres de composer la matière d’un sous-ensemble. On a pu parler d’un cycle Fleurville », composé des Malheurs de Sophie, des Petites filles modèles et des Vacances, cycle prolongé par les Mémoires d’un âne et par Les Bons enfants, où réapparaissent Camille, Madeleine et Sophie, celle-ci présentant dans Les Bons enfants le même visage espiègle, mais en toute sérénité. Les Bons enfants, qui commencent de façon décousue, par une multitude de personnages, vont d’ailleurs se construire au fil des pages, sous la forme d’un Décaméron des enfants ayant pour sujet l’acte même de narrer. Par ailleurs, la fin du livre nous fait découvrir Simplicie et Innocent, les futurs héros des Deux nigauds, dont est déjà annoncée l’aventure parisienne, et qui retrouveront Sophie et Marguerite chez Mme du Roubier. 29Mais la force du texte ne tient pas seulement dans ce qui pourrait n’être qu’un liant ». Construisant des personnages plus achevés, la comtesse les place dans des situations complexes où le souci éducatif, toujours présent, laisse une place à un registre plus intime. Car cette matière convenue, banale et triviale, elle la reprend sans cesse pour revenir sur un face-à-face de l’enfant et de sa mère, de l’enfant et du monde, qui peut perdre de son caractère lisse et harmonieux. Face-à-face que la critique n’a pas toujours bien perçu, voyant dans Sophie une coupable châtiée par un texte qui, cependant, met en cause la mère, Mme de Réan. C’est pourquoi Les Malheurs de Sophie ne sont jamais vraiment terminés et se trouvent redoublés, avec François le bossu, qui devait s’appeler La Mauvaise mère, ou avec Après la pluie le beau temps, qui substitue un mauvais oncle à cette mauvaise mère. La figure même de Gribouille en est elle-même transformée, puisque ses bêtises, loin de simplement s’accumuler comme dans la tradition reprise par Stahl, finissent également par faire sens. De Sophie à Gribouille, l’inspiration évolue, s’attachant à une figure du peuple, qui n’est plus martyrisée par une mère mais par la société. Figure qui dit la vérité dans sa simplicité, et qui de ce fait est condamnée. Juste mais impuissante, la parole de Gribouille montre jusqu’où le cheminement de l’écrivain conduit à transformer à la fois une matière anecdotique et un scénario personnel. Avec Mme Delmis, c’est à une figure dégradée de la mère qu’il s’affronte. Femme autoritaire, régentant son domaine comme une autre femme au perroquet, la propre mère de la comtesse que nous aurons à évoquer plus loin. 30Au contraire, Les Petites filles modèles, titre si suspect et si suspecté, sont bien autre chose qu’une suite d’exemples vertueux. Car les bonnes mères n’enseignent quelque chose que par contraste avec les mauvaises, et, surtout, l’amour qui lie Camille et Madeleine présente une intensité particulière dépassant le cadre même de l’exemple, lequel, pour être efficace, se devrait de rester dans un moyen terme. C’est autour de ce noyau vraiment amoureux que va se constituer une mini-société initialement composée de femmes et de filles. Marguerite de Rosbourg, puis Sophie Fichini, d’abord toute chiffonnée comme l’indique son nom d’emprunt, sont aspirées par ce modèle et ne désirent qu’être aimées et s’aimer de pareille manière. 31Quand l’une est privée de plat sucré, l’autre n’y touche pas, et la compagnie les retrouve étroitement embrassées, se consolant l’une l’autre. A tel point que Mme de Fleurville organise dans leur chambre une collation improvisée, où chacune éprouve un bonheur d’autant plus grand qu’il succède à une punition. On pourrait sans doute lire cette scène en y observant quelque soupçon de perversité. Ce qui fait précisément la particularité du texte ségurien, c’est qu’il autorise aussi cette interprétation, à condition de bien voir que toute pratique éducative est menacée, que tout ce qui prétend au bien de l’enfant peut naître de pulsions sans rapport avec l’efficacité éducative. Et que le renversement ici effectué touche à l’image des parents, notamment de la mère. Il ne s’agit pas seulement de montrer des enfants tels qu’ils sont, c’est-à-dire turbulents, hardis, vivants et imparfaits à la fois, mais d’évaluer aussi le comportement de cette mère, de ces éducateurs tout aussi imparfaits par nature. 32Plus profondément encore, la simplicité et la trivialité des anecdotes vont de pair avec des significations complexes, multiples, voire indéchiffrables. Le modèle de la fable se trouve subverti dans des scènes qui ne se contentent pas de condamner un péché ou un défaut. Le chapitre XVIII des Petites filles modèles, Le Rouge-gorge », est de ceux qui peuvent nous abandonner le plus à notre perplexité. Sophie y a trouvé un oiseau jeté hors de son nid par sa mère, situation qui semble appeler le commentaire ne peut-on y voir une allégorie de la mauvaise mère ? Ce rouge-gorge, offert par Sophie à Madeleine, reçoit les soins si empressés du quatuor des petites filles qu’il manque d’en mourir pour littéralement ressusciter il devient inséparable de sa petite maîtresse qu’il tourmente même de son affection presque agressive. Comme il n’est pas enfermé dans sa cage, il la réveille de bon matin, si bien qu’elle se fatigue et risque de tomber malade. On lui demande donc de fermer la cage de Mimi, qui se met en fureur, dévaste l’intérieur de sa prison » et donne même deux grands coups de bec dans la joue de Madeleine quand on le libère. Il fait une ordure » dans la main de la petite fille, est à nouveau enfermé et se sauve quand on rouvre sa porte On ouvrit les fenêtres. Quand Mimi aperçut les arbres et le ciel, il n’y tint pas ; il s’élança joyeux hors de sa cage et vola sur un des sapins les plus élevés du jardin. Les enfants allèrent se promener de leur côté, laissant Mimi au bonheur de la liberté et à l’amertume du repentir. 33Mimi ne reparaît pas, toute la maison le cherche jusqu’à ce qu’on retrouve un petit amas de plumes, et à côté la tête. Les petites filles creusent une fosse dans leur petit jardin, y descendent les restes de l’oiseau enveloppés de chiffons et de rubans, enfermés dans une petite boîte, élèvent un petit temple et lui rédigent une épitaphe. Tous ces événements, accompagnés de multiples raisonnements et commentaires, composent une sorte de petit roman dans le roman, concentrant plusieurs motifs traités dans d’autres chapitres. Ainsi Sophie établit-elle un parallèle entre la colère de l’oiseau et la sienne lorsqu’elle fut enfermée dans le cabinet de pénitence. Elle espère qu’il se repentira comme elle, mais un peu plus loin, demande à Madeleine Comment veux-tu qu’un pauvre oiseau demande pardon ? » Sans l’intervention d’une instance morale, les petites filles sont donc tentées de considérer l’oiseau comme un être humain, tout en prenant conscience de la différence. Camille, qui rédige l’épitaphe, parle de sa grâce et de sa gentillesse qui firent le bonheur de sa maîtresse, jusqu’au jour où il périt victime d’un moment d’humeur ». Victime, et non coupable, Mimi illustre certes les dangers de l’emportement, mais en même temps il apparaît comme un prisonnier appelé par les arbres et le ciel. Selon qu’il insiste sur telle ou telle donnée du récit, le lecteur pourra donc construire une interprétation qui ne rendra pas compte d’un exceptionnel foisonnement de pistes que penser de Madeleine qui dépérit d’être trop aimée par son rouge-gorge ? La situation offre des ébauches de sens qu’une glose excessive risque de rendre caricaturaux. Mimi meurt de s’être enfui, ses restes suscitent des cris de terreur, mais donnent l’occasion d’un jeu particulièrement prisé, jouer à l’enterrement, avec toutes les activités qui s’y rapportent, creuser la terre, orner la dépouille de chiffons, jeter des fleurs, maçonner un petit temple, rédiger un ex-voto... 34Un autre chapitre du livre, Sophie veut exercer la charité », peut paraître plus simple, puisque Sophie et Marguerite, sorties du parc comme la petite Louise des Veillées instructives et amusantes, se perdent et semblent courir de terribles dangers, du moins selon les mères, qui voient des loups et des sangliers là où les petites filles n’ont entrevu que des frôlements. Certes, une leçon de prudence est ici donnée, à un jeune lecteur ou une jeune lectrice qui retiendra peut-être davantage le gain d’une amitié, celle du boucher Hurel, brave homme permettant à Fleurville de s’initier à un autre monde. Ce même Hurel dédramatise l’histoire, s’adressant non sans esprit aux mioches » qui crient au secours Mais où diantre êtes-vous ? Pour vous sauver, faut-il pas que je vous trouve ? » Il va cueillir » le numéro 1 » puis le numéro 2 », et lorsque tout Fleurville, en grand équipage, vient le remercier, il rit Ah bah ! Tout cela est terrible pour de belles petites demoiselles comme vous ; mais pour des gens comme nous ! on n’y fait seulement pas attention... » 7 Lettres de la comtesse de Ségur, lettre du 14 août 1859. 35Le texte offre la possibilité, sinon de contredire, du moins de relativiser les angoisses des mamans ainsi que la leçon morale qu’elles prétendent tirer de cette mésaventure. D’ailleurs, le drame véritable, c’est Hurel qui le vivra plus tard en périssant bêtement, par un accident imprévu. Enfin, une lettre de la comtesse vient nuancer plus encore la morale de cette histoire Mme R. est après les enfans comme une tique, ne les laissant ni courir ni jouer, parce qu’elles sont trop grandes ; leur défendant d’entrer dans le bois de bouleaux, parce qu’elles pourraient se perdre. » Sa fille Olga, annotant cette dernière phrase, écrit Ce qui est aussi difficile que dans un square à Paris. »7 36Cette sagesse dans la vie pourrait ne pas se reporter dans l’œuvre, qui se donne un autre public ; elle nous interdit cependant de trop spéculer sur la peur du monde. D’ailleurs, le chapitre trouve un étrange argument, bien éloigné des Veillées instructives et amusantes. En effet, si Sophie pousse Marguerite à sortir de l’enclos, c’est sans doute pour éprouver un sentiment de liberté, mais plus encore pour exercer à sa façon la charité. Impressionnée par l’aventure de Françoise et de Lucie, elle a senti le bonheur de faire le bien, mais voudrait l’exercer toute seule pour en tirer tout le mérite. On lui a parlé de la mère Toutain, qui couche dans un four, sur de la fougère, de l’autre côté de la forêt, et c’est le prétexte de cette escapade secrète qu’elle justifie à Marguerite par un souci de discrétion parce que j’ai entendu dire l’autre jour à ta maman qu’il ne faut pas s’enorgueillir du bien qu’on fait, et qu’il faut se cacher pour ne pas en recevoir des éloges. » 37On voit comment l’auteur complique un motif originellement des plus simplistes, en suggérant un pittoresque de la misère, – de l’ordre d’un certain réalisme à la Champfleury –, mais surtout en y entremêlant une question spirituelle, une mise en garde adressée à l’esprit simple et charitable, qui se complaît dans sa simplicité. Mise en garde dirigée vers la comtesse elle-même, vers ses lecteurs, vers le critique, qui fait d’un épisode un texte étoilé, tenant divers propos en même temps, sans toujours les mener jusqu’à leur terme, puisque nous ne saurons rien de cette mère Toutain. Accueil •Ajouter une définition •Dictionnaire •CODYCROSS •Contact •Anagramme Âne héros de la comtesse de Ségur — Solutions pour Mots fléchés et mots croisés Recherche - Solution Recherche - Définition © 2018-2019 Politique des cookies.

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